6 juillet 2003 : l'Etat post colonial en question.
Par IBRAHIM MIHIDJAYI, historien.

Ce mois de juillet 2003, les Comores vont fêter à nouveau vingt huit ans de décolonisation obtenue à l'arrachée sans conflit ouvert avec l'ancienne puissance colonisatrice. Pourtant, cette indépendance non négociée a laissé des zones d'ombre au niveau des relations entre les Comores et la France. Notre regard, croisé sur les Comores indépendantes se fait en tant qu'observateur neutre sans à priori, ni jugements tendancieux. Ensuite, le champs d'observation se limite dans le continent africain en général et sur les Comores en particulier.


L'écart se creuse entre une Asie et une Amérique latine en plein développement mais toujours menacée de crises financières récurrentes et un continent africain enlisé dans le sous-développement et les guerres civiles. Les pays d'Afrique forment les ratés des indépendances et les Comores sont en queue de peloton.
Pourquoi cet archipel est-il " l'homme malade " de l'océan indien ? Entourées de l'île Maurice, des Seychelles, et de Madagascar, les Comores sont dans une zone pacifique au regard des troubles que connaît le continent. Et pourtant aux yeux de la communauté internationale, elles représentent " la Bolivie " de l'océan indien en matière de coups d'état à répétition. L'indépendance unilatérale du 6 juillet 1975 répond selon nous à des pressions locales et environnementales, mais aussi à un contexte de l'époque marqué par un monde bipolaire, sans mûrissement chez le peuple comorien de l'idée de nation (la nation comorienne), une classe politique traditionnelle sans hauteur de vue sur les conséquences et les enjeux d'un état post colonial, donc un écran de fumée plane aujourd'hui dans la tête du Comorien sur les termes tels que :
_Etat-nation
_République
Beaucoup d'hommes politiques ont jalonné l'histoire politique des Comores du XX è siècle. Nous nous intéresserons, ici à deux acteurs politiques comoriens, à savoir Ali Soilih et Ahmed Abdallah. Car ils ont mené deux politiques antinomiques pour diriger l'archipel et qui laissent des traces pour le peuple comorien.
En histoire, il n'y a pas de parenthèses qui se referment comme si ce qui s'est passé dans l'intervalle pouvait être effacé et qu'on puisse reprendre le cours de l'histoire au point de départ. Tout laisse des traces dans les institutions, les économies, les comportements, les mentalités, la mémoire ou l'inconscient collectif. L'Etat révolutionnaire sous le règne d'Ali Soilih n'est pas possible de supprimer d'un trait de plume de ce passé ; qu'on le veuille ou non " la révolution comorienne " a pris aux yeux des trois îles une signification précise. Elle est comme tout régime, le régime de ses partisans. Les réformes réalisées ou avortées durant cette période ont préludé les germes d'une nation en herbe. Dans un autre registre d'idées, le retour au pouvoir d'Ahmed Abdallah est ressenti par ses partisans comme une sorte de délivrance ou une bouffée d'air nouveau. Pourtant le renversement de ces deux acteurs politiques a été fait sans que nul dans tout le pays se levât pour les défendre. L'absence de révolte du peuple comorien nous interroge face aux coups d'état à répétition et nous amène à constater que ce peuple ne se sent pas représenté au sommet d'un état post colonial, ni concerné par les bisbilles politiciennes et que peut-être les hommes politiques successifs ne représentent pas leurs intérêts généraux. C'est pourquoi l'idée d'état-nation ou de république mettra longtemps à prendre corps dans l'archipel. Cette incompréhension née au lendemain de l'indépendance entre le peuple et la classe politique constitue l'une des grandes difficultés que traverse l'archipel. Il ne nous semble pas objectif de brosser un tableau apocalyptique sur les vingt huit ans de décolonisation. Force est de constater que des réalisations ont été faites en dépit d'un bilan mitigé et que la reconstruction post coloniale est difficile. Pour éviter les blocages liés aux anciennes structures de parentés (clans, lignages et critères insulaires), Ali Soilih s'était appuyé sur la jeunesse comorienne pour appliquer son programme.
La construction en grand nombre des moudrias et des collèges ruraux sur l'ensemble du territoire allait dans le sens d'une politique d'aménagement du territoire pour atténuer les inégalités au niveau du déséquilibre des îles. La démocratisation de l'enseignement et l'accent mis sur l'enseignement professionnel constituent un volet de rattrapage de la formation des agents dont le jeune Etat indépendant avait besoin. Les réticences de la population envers cette nouvelle donne et l'absence totale d'une liberté d'expression ont fait voler en éclat le contenu de sa politique progressiste. Le Comorien n'a pas bien saisi l'objet de sa politique, ni la finalité de cette démarche qui apprenait au citoyen de l'archipel qu'il n'a pas d'îles propres mais qu'il est citoyen d'un Etat.
Le retour d'Ahmed Abdallah au pouvoir est le contre-pied de son prédécesseur car la notabilité et le poids des structures traditionnelles sont remis en scelle ; on peut noter la continuité en matière de formation des cadres moyens avec l'ouverture de l'école normale supérieure de Mvouni pour former les cadres de l'administration et des enseignants des collèges afin de réduire la dépendance des coopérants étrangers aux Comores. Les aides financières des institutions internationales dont bénéficiaient les Comores durant cette courte période n'ont pas été orientées dans des secteurs clés générateurs d'emplois dans un archipel dont la croissance démographique et la pauvreté ne cessent d'augmenter. Le nouvel ensemble comorien est une coquille vide qui ne correspond à rien. Il est trop facile de compiler des textes constitutionnels sans l'adhésion des concernés.
Les blocages institutionnels au niveau du partage des compétences des présidents des Comores sont l'illustration lointaine de cette cacophonie entre les Comoriens et leurs dirigeants. La montée d'un courant séparatiste dans l'archipel ces dernières années est une conséquence de la faible conscience nationale. Le recul de l'alphabétisation des Comoriens, de la langue nationale (shikomori), le non-apprentissage de l'histoire des Comores dans le programme scolaire de l'archipel constituent des éléments principaux pour saper l'unité culturelle des Comores mais aussi l'éducation de la jeunesse comorienne qui doit être basée sur les éléments évoqués en haut.
Le concept d'un Etat-nation est une notion étrangère voire incomprise aux Comores. Le sentiment d'appartenance insulaire étant encore plus fort que la conscience nationale ne facilite pas la constitution d'une nouvelle entité où l'Etat précède la nation. Nous constatons que la construction territoriale est sujette à caution : la constitution politique ne l'est pas moins ; en l'absence d'une conscience nationale, d'une tradition de service public, l'Etat post colonial tel qu'il existe dans certains pays d'Afrique prendra du temps à s'enraciner aux Comores. C'est pourquoi nous pensons qu'à travers les soubresauts que l'archipel a connu au XX è siècle ; les historiens de notre pays doivent faire œuvre de pédagogie pour faire comprendre aux Comoriens l'utilité de la connaissance historique pour que l'histoire de ce pays constitue un monument écran dressé devant la réalité pour l'édification des générations à venir, ce que les Grecs de l'antiquité appellent un capital impérissable.

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