Comores : l'impasse constitutionnelle.
Point de vue de IBRAHIM MIHIDJAYI, historien.

Les Comores constituent " l'homme malade " de l'océan indien dans une zone relativement calme et mieux gouvernée au regard des troubles du continent. Si les contraintes naturelles (relief) ne sont pas d'obstacles majeurs pour l'archipel, en revanche l'impasse constitutionnelle du nouvel ensemble comorien plonge encore l'archipel dans une crise institutionnelle permanente.

La division de la classe politique

La flamme séparatiste qui a ravagé les îles depuis 1997 due à l'incompétence et au manque de vision des acteurs politiques de l'époque a donné l'occasion à un militaire professionnel du Sérail de faire un coup d'état en 1999 avec la complicité des réseaux officieux de l'extérieur pour mettre prétendument fin à ce virus séparatiste. Les accords de Tana (Madagascar) de 0l'année 2000 parrainés par l'Union européenne et la France sous la législature de la gauche plurielle ont débouché à l'émiettement du micro état comorien malade de ses crises internes et ses coups d'état à répétition. Nos politicards de tout bord ont requinqué leur vocabulaire politique pour miroiter les Comoriens qu'une autonomie financière des îles dans un pays miné par la corruption et le népotisme serait la solution pour faire disparaître par un coup de balai les affres d'une décolonisation ratée.
Le nouvel homme fort élu président de l'Union des Comores ne s'imagine pas que les présidents des îles élus démocratiquement comme lui allaient avoir des compétences constitutionnelles étendues et qu'il serait réduit à un président potiche. On assiste à une guéguerre entre le colonel Azali et les élus des îles pour la mise en pratique de cette nouvelle constitution. Les partenaires des Comores, UE(Union européenne) et France, sont lassés de cette jacquerie politicienne qui fait reculer davantage l'archipel. Il est très affligeant que les autorités africaines en général et comoriennes en particulier ne parviennent pas à tirer les leçons de notre retard considérable en matière de développement mais continuent à se tirer à boulets rouges comme des chiffonniers.


Une crise sociale et économique en pente douce

Irrésistible ascension de chômage, mévente des produits de rente (vanille, ylang ylang, copra), ralentissement du secteur touristique : les Comores s'enfoncent dans une maladie de langueur. La dévaluation du francs comorien en 1914 a amplifié les conditions précaires des agents de l'Etat. Les prix des denrées de premières nécessités ont augmenté à une vitesse vertigineuse alors que les salaires stagnent depuis belle lurette. Les plans d'ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale n'ont pas réussi à assainir les finances publiques. La corruption et le détournement des fonds publics ne cessent de s'accentuer. Les arriérés de salaires des fonctionnaires sont monnaie courante. Tous les gouvernements successifs ne parviennent pas à assurer la régularité des salaires. Les hommes politiques au pouvoir d'hier et d'aujourd'hui tirent vers eux la couverture. Un marché intérieur faible et des exportations quasi nulles affaiblissent la balance commerciale des Comores. Les Comores intéressent peu les investisseurs de la zone (île Maurice, Afrique du Sud et île de la Réunion). Les autorités comoriennes n'ont pas une politique économique qui pourrait inciter les Comoriens de France à investir au pays.

La situation sociale des agents de l'Etat sur fond de crise économique endémique ne cesse de dégrader. Les arriérés de salaires serpent de mer des gouvernements successifs pénalisent la relance de la consommation intérieure et retardent longuement l'acquittement des impôts par les opérateurs économiques. Cette crise de dysfonctionnement qui perdure depuis plus de deux décennies dissuade les investisseurs limitrophes des Comores (Mauriciens, Sud-africains…) de s'intéresser à l'archipel. La fragilité du marché intérieur, la paralysie institutionnelle et l'absence de volonté politique pour nos dirigeants constituent un ensemble d'ingrédients qui fige les Comores pour quelques années encore. Les stratèges de l'Union des Comores ont montré la limite de leur génie humain. Ils ont planché à longueur des semaines pour compiler le volet constitutionnel à partir de textes étrangers au détriment des mesures d'accompagnement, de l'autonomie financière des îles tant criée sur tous les toits. Nous pensons que des erreurs d'appréciation sur les conflits africains en général et comoriens en particulier ont marqué les générations montantes ces dernières années. Ils serait préférable d'intégrer dans l'analyse des conflits le volet sociologique, environnemental, le souhait et les attentes des populations concernées. Les micros projets communautaires aux Comores parrainés par la diaspora comorienne de France donnent un élan d'espoir à la lutte contre le sous-développement. L'ouverture d'une banque avec des antennes dans les différentes régions des îles pour canaliser les fonds des immigrés comoriens de France peut être une voie dont des dirigeants intègres et soucieux de l'intérêt général pourraient s'inspirer pour une sortie de crise sociale et économique. Dans les sociétés humaines, l'évolution des mentalités s'inscrit dans la longue durée. Les Comoriens comme les êtres humains du monde non-occidental habitués à être maternés par des dirigeants qui détenaient tous les pouvoirs s'accommodent difficilement à une culture d'autogestion dans un pays où le respect du droit est une utopie d'une autre époque. La République des Comores fragile mais maintenue malgré vents et marrées s'est effondrée comme un château de cartes. L'émergence de l'union des Comores dans les ruines de la République Fédérale Islamique est la voie vers l'émiettement des îles et du pouvoir central voulu et conditionné par des dirigeants retors et à courte vue.

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